Il y a d’un côté ceux qui se méfient des patrons et de l’entreprise privée, et de l’autre ceux qui ricanent sur les fonctionnaires et l’appareil d’Etat. Deux mondes qui ne donnent pas le même sens aux mots. Michel Rouger s’amuse à le démontrer à partir de cinq termes-clé qui touchent à l’économie et à la société : le créatif, la liberté, la responsabilité, le risque et l’expérience
Les discours, politiques comme économiques, ne changent pas, décennie après décennie. La France manque d’entrepreneurs, elle a trop d’Etat… Facile et superficiel, car au pays des grandes idées qui doivent rayonner sur le monde, nous n’arrivons pas à nous accorder sur le sens de nos mots.
Par exemple, les deux mots qui figurent en titre n’expriment pas du tout le même concept selon l’idéologie et la circonstance, auxquelles s’ajoutent les cultures et les formations propres aux deux grandes fonctions - le politique et l’économique - telles qu’elles jouent leurs rôles, essentiels au bon équilibre de la société. Surtout quand ces cultures inspirent des luttes intestines, en vouant, tour à tour, aux gémonies les PATRONS et leurs ENTREPRISES, l’ETAT et ses FONCTIONNAIRES.
Pour aider à comprendre comment se produit cette accumulation d’inepties économiques, il faut s’inspirer de Confucius et de son attachement au sens des mots. Au moins pour tenter de corriger nos défauts, au sens basique du mot, ce qui nous manque. Prenons en cinq, facilement compréhensibles. L’entrepreneur, le vrai, est un créatif qui se projette dans un espace de liberté, qui prend ses responsabilités, ses risques et privilégie l’expérience assumée à la théorie enseignée. Pour lui, c’est clair, pas pour l’Etat. Chacun reste enfermé dans son langage, et la France dans son marasme, faute d’une pédagogie qui lui permette d’en sortir en les conciliant.
Le créatif. Comme son nom l’indique, il crée. Il ne se contente ni d’inventer, ni d’innover, voire de rénover. Il réalise un projet qu’il construira pour le plus longtemps, le plus grand espace, le plus grand nombre de clients et d’emplois possibles. A ses débuts, même soutenu par des politiques qui veulent donner à leur action les images successives du novateur, innovateur, rénovateur, son rôle est aussi méconnu que son personnage, de la part des administrations de l’Etat. Pourtant, n’en déplaise à ses contempteurs, l’entreprise dépend avant tout de son créateur pour apporter, plus tard, la richesse dont la société bénéficiera.
Les administrations les plus ouvertes à la modernité, parce qu’elle donne une belle image qui se vend bien dans la quête aux budgets, y voient un innovant, séduisant. Elles ignorent qu’il ne sert à rien d’innover sans la volonté de créer, de construire, d’offrir ce qui sera le monde à venir. Elles ne connaissent du projet que le SOFT, l’idée, pas le HARD, sa construction, sa mise en pratique. Leur premier réflexe est scepticisme et méfiance. La règle de précaution veut alors que le créatif soit traité comme un banal assujetti au guichet de l’administration d’en bas, voire comme entité statistique dans la catégorie des partenaires sociaux de l’administration d’en haut.
La liberté. L’analyse du sens de ce mot, le premier de notre fière devise républicaine, dans les vocabulaires de l’Etat et de l’entrepreneur, est passionnante. Il a un vrai sens pour le créatif. Il en a besoin pour vaincre les résistances au changement des sceptiques et des conservateurs. Ceux qui partagent le projet avec lui en ont autant besoin pour investir leur temps, leur argent, leur imagination en se dispensant des sécurités offertes à ceux qui sont apeurés par les risques.
Ce concept est naturellement incompréhensible par l’Etat. Construit, comme l’Armée des guerres impériales du XIXème siècle, puis comme chef de guerre des armées de l’économie industrielle du XXème siècle, il limite la liberté d’entreprendre aux exigences de la discipline citoyenne, par la norme et le règlement, au-delà même de la Loi. Le rapport récent sur les 400.000 normes qui constituent la camisole de force infligée au monde des entrepreneurs explique tout. Y compris le taux de mortalité de ces fantassins de l’économie, chair à canons des obusiers de la bureaucratie. 80 % à dix ans. On l’oublie. C’est à la fois le déni de réalité et le déni de liberté.
De temps en temps, l’entrepreneur trouve un peu de liberté en assumant une vocation de substitution, destinée à pallier la défaillance du politique, lorsque le choix, historique, du chômage de masse pèse trop lourd sur la communauté. Il devient créatif d’emplois assistés, associé dans le traitement de la rémission de ce cancer sociétal. Son banquier est lui-même invité à quitter chapka, moufles et parka pour diffuser la chaleur bienfaisante du pouvoir de dire oui, le temps d’accumuler les pertes, avant de retrouver la prudente frilosité qui assure les gains.
On le voit, l’entreprise libre reste victime, en France, de l’image héritée des années de guerre froide, celle du renard libre dans le poulailler libre.
La responsabilité. L’esprit d’entreprise la revendique comme contrepartie de la liberté, sans toujours en comprendre les limites, surtout les conséquences. Montesquieu, en son temps, a défini l’esprit de commerce comme s’exerçant à mi chemin entre la générosité et le brigandage. Ces deux mots servent de cadre à l’exercice et à la mise en cause des responsabilités encourues par l’entrepreneur qui sont à la mesure des normes que nul n’est censé ignorer, et des risques de défaillance qu’elles provoquent à un niveau démesuré.