Quels sont les produits dont la nocivité est avérée ? La commission des stupéfiants de l’ONU en reste à une liste établie il y a un demi-siècle. Ni l’alcool, ni le tabac n’y figurent. Quelle politique appliquer pour contenir la demande ? La France vit sous le régime de la loi de 1970 qui condamne l’usage de drogue et impose l’injonction thérapeutique. Mais les pratiques des toxicomanes ont profondément évolué. Une remise à plat de la politique des drogues est devenue nécessaire.
Depuis un certain nombre d’années, les débats autour de la dépénalisation ou de la légalisation des drogues sont relancés à l’approche de chaque élection importante. Les arguments développés, tant par les partisans d’une modification des législations actuelles que par ceux souhaitant le statu-quo, ne permettent pas d’évoluer vers une politique plus satisfaisante de la gestion des drogues.
Depuis plus de cinquante ans, une commission des stupéfiants a été instituée au sein de l’ONU à Vienne. Celle-ci a pour fonction de classer les produits dont la nocivité est avérée. La majorité des Etats sont liés au sein de l’ONU par des conventions internationales qui les engagent à mettre leur législation en accord avec ces conventions.
Depuis cinquante ans, les produits consommés généralement par les pays non occidentaux ont été classés par cette commission, mais les produits psycho-actifs d’usage courant au sein du monde occidental n’ont pas été soumis à cette classification. Si aujourd’hui le tabac apparaissait comme nouveau produit au niveau mondial, l’OMS examinerait la dangerosité, la potentialité de dépendance de ce produit, et elle rendrait un avis très négatif aux instances onusiennes qui classeraient le tabac sur la liste des stupéfiants et en rendraient l’accès interdit…
Nous voyons clairement par ce simple exemple que la constitution de la liste des stupéfiants est très marquée historiquement. Le poids de l’industrie du tabac, comme cela serait d’ailleurs le cas avec l’alcool, est tel qu’un scénario de cette nature est à ce jour improbable. La régulation de l’offre de produits psycho-actifs est déterminée par la mise en place de cette législation internationale. L’interdiction quasi totale des cultures des produits classés (opium, cannabis, coca…) a entrainé de fait un développement de cultures prohibées qui a pour conséquence de constituer un marché illicite au niveau mondial dont on connaît les répercussions désastreuses en termes de criminalité.
La gestion de l’offre de produits psycho-actifs a montré depuis cinquante ans ses limites. Mais qu’en est-il au niveau de la demande ?
Au nom de la santé publique en France, fut votée le 31 décembre 1970 la loi qui reste le pivot de notre politique. Cette loi est centrée essentiellement sur la condamnation de l’usage, l’injonction thérapeutique qui permet d’orienter les toxicomanes vers le secteur sanitaire, et la gratuité et l’anonymat des soins. Cette loi a aussi pour objectif de contenir les comportements « toxicomaniaques » ou de les prévenir. Elle devait, au moment où elle fut votée, contenir l’augmentation du nombre de consommateurs dont la couverture sociale devenait de plus en plus importante, faisant croître les dépenses de santé.
Tout produit figurant sur la liste des stupéfiants tombe sous le coup de la loi. Le classement, produit après produit, des nouvelles substances apparaissant sur le marché, les rend illicites. Nous pouvons constater que les produits les plus nocifs en terme de santé, mais parfois aussi de criminalité, échappent historiquement à cette classification, notamment alcool et tabac.
Les pratiques de consommation échappent au fondement de la loi classificatrice qui procède produit par produit, alors que les utilisateurs mélangent allégrement les substances pour en potentialiser les effets. C’est le cas du mélange alcool-cannabis. La limite entre l’usage et la dépendance est fragile, inégale entre les consommateurs, rendant toute catégorisation inadéquate pour agir. Les malades, mais également les personnes ayant des consommations à risque, ne peuvent relever que d’une approche clinique dans une relation duelle.
A un moment où les pouvoirs publics se préoccupent de plus en plus des conséquences des comportements alimentaires, imagine-t-on une réflexion sur cette question qui ne prendrait pas en compte l’extrême complexité de ces comportements ? L’idée ne viendrait pas de vouloir réguler le comportement boulimique par une loi, ceci n’empêchant pas l’Etat de contrôler la qualité des produits alimentaires mis sur le marché.
Deux approches complémentaires peuvent être proposées : d’une part, l’éducation qui devrait permettre au citoyen d’échapper aux comportements nocifs ; d’autre part, une offre de soins adaptée répondant à ceux qui sont dans l’excès.
Ceci ne pourra se mettre en place qu’après une évaluation des politiques actuelles. Sans doute cela sera possible en remettant en cause l’équilibre budgétaire qui existe entre les sommes consacrées à la prévention, aux soins, à la répression, et à l’activité internationale.
Patrick Sansoy, psychologue clinicien, chargé de mission recherche 1992-2011, Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), auteur de « La toxicomanie » et autres ouvrages et rapports