L’époque est propice à la remise en cause des modèles. A commencer par les modèles de croissance et de consommation qui ont prospéré depuis la Deuxième Guerre Mondiale. L’apparition de la « démocratie internet », la montée en puissance du courant écologiste et les effets de la crise sur le niveau de vie des classes moyennes sont à l’origine de multiples expériences éco-responsables. Créateur d’une monnaie numérique (le watt), Etienne Beaugrand explique ainsi en quoi consiste le concept de « consommation collaborative ».
« La consommation collaborative désigne un modèle économique où l'usage prédomine sur la propriété : l'usage d'un produit peut être augmenté par le partage, l'échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci. Cette optimisation de l'usage, en réaction à la sous-utilisation classique supposée des produits, est principalement permise par l'échange d'information via Internet. L'essor de cette tendance depuis les années 2000 est donc fortement lié à l'essor de la toile… la consommation collaborative bouscule les anciens modèles économiques en changeant, non pas ce que les gens consomment mais la manière dont ils le consomment. »
Voici donc ce qu’en dit Wikipédia, encyclopédie « populaire » elle-même issue du partage sur le web des connaissances de ses lecteurs et par là même, premier exemple illustrant collaboration et partage.
Ainsi la consommation collaborative, c’est consommer sans posséder. C’est le remplacement de la vente du bien par la vente de l’usage du bien.
C’est, selon Antonin Leonard, «un nouveau système de redistribution des biens matériels et immatériels, où les échanges se font de façon horizontale et décentralisée entre particuliers. C’est une économie de la fonction, l’usage prévaut sur la possession et l’échange entre particuliers est préféré à l’économie centralisée. »
On se regroupe cependant pour acheter ensemble à la façon des centrales d’achat, mais à sa convenance personnelle, à son besoin propre et non à l’initiative de grands groupes déshumanisés qui vous appâtent pour des «achats sous influence».
On organise également la redistribution de biens d’une personne les possédant à une personne les recherchant. On partage même des ressources immatérielles entre particuliers : espace, temps, compétences.
On consomme enfin des services au lieu de produits : on n’achète plus l’objet mais le besoin qu’on en a. C’est la naissance de l’auto-partage, des vélos en libre-service, des plateformes comme eBay … et des groupements de consommateurs sur les circuits courts.
Internet et les différentes plateformes qui apparaissent actuellement proposent des solutions avec lesquelles le consommateur peut continuer de consommer autant qu’auparavant mais sans toutefois devenir propriétaire définitif des biens : l’échange et le partage lui sont facilités par la machine que l’homme a crée.
La consommation collaborative peut être liée au tissu économique. Il y a ceux pour qui le collaboratif n’a jamais été un choix mais un mode de vie, et ceux pour qui ce nouveau modèle est devenu une nécessité du fait des conjonctures économiques. Ces derniers ont changé de regard sur le fait même de consommer. Les particuliers, aux Etats-Unis par exemple, sont entrés dans l'ère de la débrouille. Ils ont aussi pris conscience que les biens qu'ils possédaient pouvaient générer un revenu : logement, voiture, électroménager, compétences.
Aux Etats-Unis et chez plusieurs de nos voisins Européens, cette notion d’ « utilisation des biens », prenant le pas sur la notion de «possession des biens», et qui définit le modèle de la consommation collaborative, y est beaucoup mieux intégrée. En effet, les petites entreprises qui innovent ont un pouvoir que les PME françaises n’ont pas : elles sont mises en avant car elles produisent un service. Elles transforment un produit en service et font ainsi évoluer ce que l’on pourrait appeler l’économie de consommation pure en économie de fonctionnalité.
En France, la consommation collaborative est un mode de consommation encore nouveau. Face à la baisse du pouvoir d’achat, le collaboratif s’installe petit à petit et le consommateur s’adapte via les outils mis à sa disposition à des pratiques auxquelles il n’est pas habitué.
Contrairement à d’autres pays du globe, et à cause d’un état d’esprit propre aux organisations françaises, le collaboratif ne peut s’installer dans notre pays sans que le consommateur ne soit auparavant informé voire formé. Car nous en sommes en réalité à un point où le besoin collaboratif n’est pas encore suffisamment entré dans les mœurs.
Les Français ne sont pas si différents de leurs voisins européens et outre-Atlantique. Eux aussi souhaitent disposer de systèmes «éthiquement» logiques en opposition à la folie consommatrice actuelle. Il suffit de constater l’engouement grandissant des Français pour les plateformes de covoiturage, le rejet de la consommation ubuesque de produits alimentaires achetés à l’autre bout du monde alors que le voisin en cultive dans son potager, le succès des sites d’échanges, de troc, de revente.
Et pourtant, le Français moyen est-il prêt à ne plus être propriétaire de son véhicule?
Sommes-nous prêts à louer notre tondeuse à gazon pour un jour ?
On entend souvent dans les émissions télévisées et radiophoniques de brèves interventions sur la consommation éthique, sur les «consom’acteurs» comme on les appelle. Mais qui sont les Français qui consomment collaborativement ?
Aujourd’hui, alors que l’on compte plus de 200 000 utilisateurs de service d’auto-partage en Allemagne, nous sommes à peine 20 000 à partager nos véhicules en France.
On peut se demander s’il ne peut y avoir un lien de cause à effet avec le fait que la France ait adopté depuis plusieurs années un modèle basé sur la consommation plutôt que sur la production : nos habitudes d’«hyper consommants» ont été sciemment, et de longue date, programmées par les grands distributeurs .
Les outils qui ont été développés pour ce modèle de consommation ont eu un impact direct sur nos comportements. Nous consommons et souhaitons être des « possédants » alors que, par exemple, certains outillages (de jardinage, de bricolage…), meubles d’appoint, équipements sportifs…, même le vélo, la voiture, ne sont utilisés, pour certains, que très occasionnellement. Or ils sont aujourd’hui notre propriété à l’année. Nous ne sommes donc que des «possédés» d’un modèle de consommation à outrance : les outils marketing et la puissance des institutions qui ont mis en place ces outils de consommation ont le contrôle sur le comportement du consommateur.
Actuellement, la mise à disposition des outils de partage n’est pas la même chez nous et chez nos voisins. Aussi l’intégration se veut, de ce fait, beaucoup plus difficile. En effet, puisque nous avons donné le pouvoir à la consommation et à la possession, il est difficile, maintenant, de proposer et/ou d’imposer un modèle économique différent. Il nous faut passer de l’avoir (j’ai une voiture par exemple) à l’être (je suis mobile). Il nous faut aller vers moins de choses (moins d’avoir) mais plus d’expériences (plus d’être). Une nouvelle économie de l’expérience (je loue, je partage, j’échange…).
Finalement, le consommateur n’aura le choix, en France, du collaboratif qu’une fois que les grandes enseignes de la consommation auront décidé d’informer et de former les consommateurs à ce nouveau modèle
Ou alors, d’un point de vue plus optimiste, le consommateur fera sa «révolution de printemps de la consommation», les investissements seront alors faits dans les sociétés nouvelles et innovantes qui promeuvent ce genre de consommation, et nous redonnerons aux individus le pouvoir de production.
Je crois, comme beaucoup d’autres, que nous ne sommes qu’aux prémices d’un changement majeur de perspective et de relation aux biens : la « crise » va avoir raison du déraisonnable ; c’est «le sens de l’histoire», qui se fera de gré (éco-responsabilité) ou de force (perte du pouvoir d’achat). Après le temps de l’hyper consommation est venu le temps de l’économie du partage.
Aussi, en opposition aux comportements individualistes, dont souffrent aujourd’hui les sociétés occidentales, le collaboratif apporte une alternative éthique voire sociale aux populations. Les produits et services collaboratifs qui se situent aujourd’hui sur des niches économiques en France sont les futurs standards du comportement responsable et/ou raisonnable de la consommation de demain. Cette nouvelle éthique, ce nouveau mode de consommation, est une facette de ce qu’on appelle le développement durable ou encore l’éco-responsabilité. Non seulement on veut acheter selon son besoin mais on veut savoir ce que l’on achète et à qui on l’achète. Cette consommation collaborative entraîne une optimisation des ressources. Enfin, les outils pour inciter la population à cette consommation sont déjà à disposition, la transition se fera efficace et rapide, lorsque les investisseurs seront enfin prêts eux aussi, sous la poussée des exigences croissantes des peuples, et lorsque les techniques de valorisation des entreprises auront évolué vers des modèles plus humains.
Etienne Beaugrand, président de la start up « WattisitCom »