Une gifle pour la France. Mais peut-être fallait-il cette humiliation publique pour ouvrir les yeux de l’ensemble de la classe politique. La perte du AAA marque le terme de trente années de dérive financière dans un pays qui est pourtant le recordman de la pression fiscale. Les données chiffrées sur les dépenses de l’Etat et des collectivités locales sont accessibles à tous. Un exemple particulièrement éclairant : l’étude du mouvement « Politic Angels » (MPA) sur les finances des communes.
Eh oui, le AAA est parti... sans doute pour longtemps. Voilà 30 ans que l’Etat a commencé à jouer à la patate chaude. Gouvernement après gouvernement, la France a dépensé plus qu’elle ne gagnait, le déficit primaire provenant d’ailleurs plus du solde des administrations que de celui des dépenses sociales. Et la dette a ainsi augmenté de manière monstrueuse, atteignant désormais 1600 milliards d’euros, soit deux fois les recettes de l’Etat, (une mesure bien plus pertinente que le % du PIB, celle que tout ménage s’applique à lui-même).
Et l’Etat, mal en point, est suivi dans un mouvement similaire par les collectivités. Le mouvement des Politic Angels a réalisé récemment une étude sur les finances des communes. Une exploration facile en apparence : le site du ministère des finances fournit en libre accès les comptes de toutes les communes depuis 2000, avec force détails, au moins 20 indicateurs par commune. Mais pour le citoyen qui n’est pas un expert, cette forêt de chiffres ne parle pas du tout.
Et pourtant, il y a quatre ratios très simples, définis par… le ministère des finances lui-même pour dire si une collectivité est en bonne santé ou non. Quatre alertes qui sont :
- Le ratio d’autofinancement : c’est le rapport entre les charges de fonctionnement plus le remboursement de la dette et les revenus de la commune. À plus de 100%, la collectivité est en alerte, car elle ne peut plus payer ses investissements (des crèches, les écoles primaires, la voirie…). Alors pour investir, elle doit contracter de nouvelles dettes.
- Le ratio d’endettement : c’est le rapport entre l’encours des dettes et le revenu de la commune. À plus de 120%, c’est l’alerte, et le risque que le remboursement de la dette devienne insupportable pour la collectivité.
- Le ratio de rigidité structurelle. Il mesure la part de coûts fixes (salaires et remboursement de la dette) dans l’ensemble des coûts. À plus de 65%, c’est l’alerte, car la collectivité n’a plus de marge de manœuvre si les revenus baissent.
- Et le ratio de pression fiscale qui, s’il dépasse 100% (niveau d’alerte), indique que les contribuables de la collectivité sont plus imposés que la moyenne nationale.
À partir des données brutes de Bercy, nous avons constitué une base de données des comptes de 2007 à 2010 des 36 109 communes de la métropole. Puis nous avons calculé les ratios et les indices d’alerte, et nous avons réalisé une synthèse de ces indicateurs, au niveau national (avant une mise en ligne prochaine de cette base locale). Voici les résultats pour 2010, plutôt troublants :
- L’autofinancement est un problème très répandu. 22% des communes (37% de la population) sont en alerte. Donc près de 4 Français sur 10 vivent dans des communes qui n’ont plus les moyens d’investir sans nouvelles dettes ! Près de la moitié des communes de plus de 20.000 habitants sont en alerte sur cet indicateur. Et 12% des communes (30% de la population) sont en alerte en continu depuis 2008. C’est notamment le cas à Tulle, ville de M. Hollande, depuis 2007. En 2010, cela a été le cas à Meaux, ville de M Coppé. Mais aussi, depuis 2008, le cas à Troyes, la ville de M. Baroin, actuel ministre des finances !
- La dette, elle, a atteint un niveau d’alerte dans 15% des communes (15% de la population). 10% le sont déjà de façon durable, depuis 2008. Et, avec la tendance sur l’autofinancement, cette population en alerte d’endettement devrait augmenter à terme.
- La rigidité structurelle est l’alerte la moins répandue des trois alertes non fiscales. 4% des communes (10% de la population) « seulement » en sont victimes. Mais ce sont surtout des grosses communes, comme Marseille, Clichy, Meaux ou Limoges. Pour elles, c’est surtout le coût du personnel qui cause la rigidité, avec plus de 55% du revenu de la commune consacré aux salaires, contre 25% à 35% pour les petites communes (une absence d’effet d’échelle très étonnante).
Comme on le voit, la maison France tremble à tous les étages.
C’est ce qui donne à la perte du AAA, avec son côté symbolique, son potentiel positif. Il faudrait pour cela qu’elle réalise enfin le choc psychologique qui amènera certains à passer du rafistolage permanent à de vrais changements de fond. Et sinon, c’est à nous, citoyens, d’y contribuer avant que le mouvement enterre nos enfants.
par François Lainée, co-fondateur du mouvement « Politic Angels ».