Chef d’entreprise et associé aux travaux de la Commission Attali « pour la libération de la croissance française », Xavier Fontanet a eu l’occasion d’analyser le compte d’exploitation de la « Maison France ». Auteur du livre « Et si on faisait confiance aux entrepreneurs », dont la carrière continue en anglais et en chinois, il plaide pour une totale remise à plat des objectifs et des méthodes de la sphère publique.
Angela Merkel considère qu’il faudra au moins une décennie à l’Europe pour assainir ses comptes et digérer la crise de la dette. Comment pourrait-il en être autrement ? En s’en tenant au seul cas de la France, analysons les comptes de la puissance publique de notre pays comme on le ferait du budget d’une famille, c’est à dire d’une manière simple et synthétique.
La dette de la France est la conséquence de trente années de déficit budgétaire. Les signaux d’alerte ont été déclenchés dès la controverse européenne autour de la règle des 3% de déficit à ne pas dépasser. Une contrainte alors balayée conjointement par la droite et par la gauche.
En chiffres ronds, la sphère publique fonctionne en France avec environ 950 milliards d’euros de « recettes » chaque année (Etat, sécurité sociale, collectivités locales) pour un PIB de 1900 milliards d’euros en 2010. En faisant l’addition de toutes les pertes – un travail difficile compte tenu de l’opacité de la comptabilité publique –, on tourne autour d’un manque à gagner de 140 milliards d’euros. Ce chiffre comprend les pertes du budget de l’Etat, de la sécurité sociale et des collectivités locales, auxquelles s’ajoutent diverses factures ponctuelles comme par exemple la contribution au sauvetage de la Grèce.
La dette, elle, est de l’ordre de 1600 milliards. Elle représente 1,7 fois les « recettes » du public. Notez bien que pour minimiser la dette, celle-ci est affichée rapportée au PIB, ce qui est une présentation tout à fait anormale. Pour être clair, en France, la dette, c’est presque deux années de recettes de l’Etat et des collectivités.
Ainsi, la sphère publique est, en France, une entité économique qui a une activité de 950 milliards d’euros, qui enregistre 140 milliards de pertes sur ses ventes (15 %) et qui est endettée à hauteur de presque deux fois son chiffre d’affaires. Si l’on voulait ramener la dette à une année de recettes publiques, soit 950 milliards d’euros, il faudrait dégager un excédent à hauteur de 50 milliards d’euros pendant 13 ans (650/50), ce qui veut dire économiser 200 milliards sur les 1100 milliards de dépenses puisque le déficit est de l’ordre de 150 milliards. Comment y parvenir ?
Pas plus que la fuite en avant dans la dépense publique, la hausse des impôts ne serait une solution. Elle serait même une erreur économique majeure dans le contexte économique actuel. Il faut savoir que nous sommes le pays qui a désormais la plus haute fiscalité au monde. Il suffit pour en prendre la mesure d’aller sur Google ou Yahoo et de taper « misery tax index ». On y voit un calcul tenu à jour tous les deux ans. Les impôts en France ont même largement dépassé ceux que l’on paye en Chine. Si le pouvoir continuait d’alourdir la fiscalité, on pourrait oublier tous les investissements étrangers en France et l’exil fiscal des créateurs de richesse reprendrait de plus belle.
Mais alors, gagner presque 20% sur les coûts de la sphère publique en France est-il totalement utopique ? Ce n’est en fait pas si difficile à concevoir quand on prend la mesure des innombrables branches mortes – mais budgétivores – de l’appareil public et quand on sait que le reengineering de l’Etat n’a jamais été vraiment entrepris. D’autres pays ont fait cet effort. A partir du début des années 90, le Canada a, en six ans, économisé 19% du coût de sa sphère publique. A supposer que la France ait un programme de 3% de gains additionnels chaque année pendant six années de suite, elle économiserait au bout du compte à peu près ce qui est nécessaire. Cela demanderait de s’attaquer aux doublons créés dans les régions, à supprimer peut être certaines directions de ministères, ou à remettre en cause des programmes dispendieux à l’image de l’indigestion de ronds points qui sévit partout en France (à peu près 3 milliards par an).
On imagine le concert de protestations de ceux qui affirmeraient que l’on tue l’économie. Ce sont les mêmes voix qui depuis trente ans poussent à l’augmentation de la dépense publique. A ces voix il faudrait répondre que 3% de la sphère publique, cela fait 1.5% au niveau du PIB. L’exemple du Canada montre qu’une cure d’assainissement n’est pas l’ennemie de la croissance. Revenons à la remarque de Madame Merkel. Il faut savoir que la sphère publique allemande coûte environ 20 % de moins que la sphère publique française à périmètre comparable. Cela fait quasiment 200 milliards d’euros d’économie. Si notre sphère publique était aussi efficace que la sphère publique allemande, aujourd’hui, la France n’aurait pas à déplorer de déficits.
Le discours officiel consiste à reprocher aux entreprises françaises de n’être pas aussi compétitives que les allemandes. On n’a pas compris que les grandes entreprises françaises ont été performantes depuis trente ans : elles ont créé, en pleine concurrence mondiale, une valeur boursière à peu près égale à la dette qu’a créée la sphère publique. On n’a pas non plus compris que si les entreprises de taille intermédiaire françaises (ETI) étaient moins nombreuses, c’était qu’elles étaient par nature plus directement opérationnelles sur le sol national et qu’elles subissaient plus que les grandes la dérive des prélèvements obligatoires.