La santé est au cœur des évolutions de la société. En moins d’un siècle, la médecine est passée d’un modèle patriarcal - le médecin est celui qui sait ; le patient est celui qui écoute - à un modèle de pouvoir partagé entre le professionnel de santé et un patient de plus en plus informé et tenté de se comporter en co-décideur. A cela s’ajoutent désormais de graves questions scientifiques et techniques (le développement de la télémédecine) et éthiques (droits du patient en fin de vie). Sous le regard de la justice, de nouvelles déontologies vont devoir s’imposer.
Au XIXe siècle, l’hôpital était avant tout un lieu de charité, et la médecine un exercice compassionnel. Au XXe siècle, les progrès sociaux et scientifiques ont offert l’espoir de la « santé pour tous en l’an 2000 » (OMS, Alma Ata, 1978). L’objectif de guérison du malade a laissé la place à celui de la santé de la personne soignée. Face à ces évolutions, les médecins ont longtemps conservé à l’égard de « leurs » patients une approche paternaliste et fondée sur leur expérience personnelle. Puis, devant l’explosion des publications, s’est imposée dès 1980 une nouvelle médecine, fondée sur des recommandations professionnelles validées (« evidence-based medicine »).
Nous voici au XXIe siècle. Ainsi, en moins d’un siècle, la médecine a évolué d’un modèle patriarcal (le médecin détient la connaissance et le patient consent au traitement) vers un modèle professionnel (le médecin décide mais prend en compte les préférences du patient), puis un modèle partagé (le médecin et le patient décident ensemble). Les patients se veulent informés et s’imposent en partenaires (« patient empowerment »). Doit-on, peut-on éviter d’aller plus loin ? Aux États-Unis, certains patients revendiquent déjà le droit de décider seuls de leur traitement. Force est d’admettre que la relation médecin – patient s’est profondément et irréversiblement modifiée, dans un environnement de consumérisme croissant, de médiatisation des erreurs et de protection accrue des droits, d’amélioration de l’éducation sanitaire et médicale, d’essor des nouvelles technologies de la communication et de l’information, de développement de l’automédication et de rejet des toutes les attitudes paternalistes.
Les patients connaissent de plus en plus les derniers traitement et demandent à en bénéficier. Ils ont accès à des palmarès voire des « indicateurs » pour orienter leurs choix. Ce partenariat « patient-soignant » est en outre « gagnant-gagnant » : lorsque les patients sont associés à leur prise en charge, les résultats sont meilleurs, les coûts moindres et la satisfaction accrue. Reste à gérer les inégalités d’accès à ce savoir...
Enjeux de communication, la maladie et la médecine ont inspiré Molière comme elles font aujourd’hui le succès du site Doctissimo. Cette communication est réciproque. Il y a la journée du souffle, celle du cœur, et même une journée mondiale pour la santé. Il y a la semaine pour la santé mentale, et « Octobre rose » pour le cancer du sein. Et en France, il y aura désormais « L’année des patients et de leurs droits », ce sera... en 2011.
Cet événement est important : le partenariat entre les patients et les professionnels de santé est plus que jamais indispensable. Notamment parce que la médecine du XXIe siècle va soulever des questions éthiques difficiles. Questions d’éthique collective et politique autour du financement et de l’égalité d’accès : la prise en charge des aînés, de plus en plus âgés, et le développement des différentes formes de biothérapies, particulièrement et durablement coûteuses, vont remettre en cause les objectifs et le financement de la branche santé de l’assurance maladie, maître pilier du système social à la française.
Autre sujet, d’éthique individuelle celui-là, la fin de la vie. A l’instigation de Jean Leonetti, la France a légiféré dès 2005 sur les droits du patient en fin de vie. Bien qu’adoptée à l’unanimité des représentations parlementaires, cette Loi reste encore d’application perfectible. Probablement parce qu’elle contraint chaque acteur de la société à se projeter aux limites de sa vie...
Le patient au cœur du système sanitaire et médico-social, ce sont aussi d’autres enjeux plus techniques. La généralisation du dossier médical partagé se profile enfin ; les exemples étrangers en démontrent les bénéfices cliniques et économiques. Reste qu’il traite de sujets éminemment intimes et suscite légitimement des craintes. Autre évolution, la télémédecine. Autorisée et réglementée depuis peu, elle
procède de l’hyperspécialisation médicale et de l’évolution de sa démographie, ainsi que de la régulation des autorisations visant à concentrer l’expertise sur un petit nombre de centres à forte activité. Mais elle bouscule évidemment la relation médecin – malade traditionnelle.
Ainsi et bien au delà de ces quelques exemples, la santé reste au cœur des évolutions de la société. Sous le regard de la justice, de nouvelles déontologies vont s’imposer. Des métiers nouveaux sont à créer. Chacun d’entre nous, patient et médecin malgré lui, est concerné.
Jean Petit