La réforme du parcours de soins coordonnés vise à sauvegarder l’équilibre d’un système d’assurance maladie chahuté par les progrès fulgurants de la science et l’alourdissement continu des budgets de la santé. Placé en première ligne, le médecin généraliste se voit investi de responsabilités nouvelles. Les risques juridiques qui pèsent sur les activités médicales prennent des formes variées et complexes. La réforme ne réussira pas sans de meilleurs outils d’aide à la décision.
Au cours des soixante dernières années, l'offre et la qualité des soins se sont considérablement diversifiées et améliorées grâce à la conjugaison du système d'assurance maladie et du progrès scientifique. La sécurité sociale a maintenu le principe de l'égalité devant les soins et la connaissance repousse les inégalités devant la maladie. Mais la combinaison de cette institution majeure de la République et d’un progrès que l'on ne peut ralentir font peser une menace sérieuse sur l'avenir du système en mettant en péril les équilibres économiques qui les garantissent dans une société soucieuse de préserver l'équité des charges collectives et responsable vis à vis des générations à venir.
Pour faire face à ces défis, la réforme du parcours de soins coordonnés introduit par la loi
du 13 août 2004 peut apparaître comme un carcan administratif supplémentaire destiné à restreindre l'offre de soins et le principe de la liberté du choix du praticien. En l'absence d'évolution dans les pratiques, il ne semble pas que cette réforme puisse donner sa pleine mesure. Au mieux, dans l'esprit des usagers, le parcours de soins permet de rationaliser les coûts dans l'offre de soins ; au pire, il constitue une immixtion de la puissance publique dans la relation particulière, et essentielle à la réussite des soins, entre le patient et son médecin, le dialogue singulier. Or cette réforme présente des perspectives bénéfiques sur l'ensemble du spectre de la santé publique en énonçant des missions nouvelles à la charge du médecin coordonnateur. Mais pour que cette réforme aboutisse, il est nécessaire d'offrir des moyens supplémentaires à ce médecin, le plus souvent généraliste, pour lui permettre de remplir les missions nouvelles qui lui sont confiées dans le cadre du parcours de soins coordonnés. Ainsi, les exigences légitimes croissantes de patients-usagers du service public de la santé devront être satisfaites en canalisant les risques de mise en cause de la responsabilité civile ou pénale du patricien, en mettant à sa disposition une information pertinente immédiate sur son poste de travail mobile ou lors de la consultation en cabinet et ce, en limitant le nombre d'actes et les événements indésirables.
1/ La somme des connaissances acquises dans le domaine de la santé est colossale et ne cesse de se développer. Grâce aux outils de communication électronique, cette connaissance est en libre accès au niveau mondial et à un coût dérisoire. Mais cette connaissance n'a de valeur que lorsqu'elle est administrée correctement. Cette connaissance mise à disposition d'un professionnel devient le savoir. Ainsi, la compétence d'un praticien résulte de la combinaison de sa formation, de la mise à jour de ses connaissances et de l'expérience acquise dans sa pratique. L'administration de ce savoir par le praticien reflète l'éthique de la connaissance, c'est-à-dire la capacité à mettre en œuvre ce savoir dans le geste et la prescription ainsi que dans l'association pédagogique du patient à sa propre prise en charge.
L'instauration du parcours de soins coordonnés consacre entre les mains du médecin coordonnateur des missions essentielles pour la santé individuelle et la santé publique. Ce praticien est investi d'une mission de prévention, de centralisation de l'information utile à l'élaboration du diagnostic, d'orientation et d'accompagnement du patient dans ce parcours de soin qui peut être long, lourd et parfois obscur pour l'entendement du patient naïf. Pour ce faire, il doit disposer pendant le temps de la consultation d'un outil d'aide à la décision qui l'assiste au cours de l'examen et de l'élaboration d’un diagnostic pertinent en limitant les allers-retours des consultations chez des spécialistes et l'amorce de traitements lourds, onéreux et inutiles, voire inappropriés.
L'utilisation des technologies de la communication doit permettre au praticien d'administrer son savoir. Le fait de disposer d'outils de méta-analyse simplifiera et sécurisera sa pratique quotidienne. Les technologies doivent également favoriser la diffusion et la mise en œuvre de la médecine translationnelle, résolument tournée vers la pratique. Les grandes avancées de la science médicale, lorsqu'elles ne sont pas le fruit du hasard ou d'investissements lourds et incertains, résultent de la résolution de problèmes pratiques comme du renforcement de la prévention, toutes activités dont la portée économique est toujours délicate à évaluer.
2/ Il est frappant de constater que l'activité médicale est trop souvent source d’événements indésirables, que la loi Hôpital Patients Santé et Territoires du 21 juillet 2009 tente de réduire, engendrent un surcoût exorbitant sur le plan individuel et collectif. Cette situation est source de tensions, d'une méfiance réciproque et d'un contentieux certes encore maîtrisé mais qui pourrait déraper à tout moment. Plus généralement, depuis 1936, la jurisprudence et la loi ont fait évoluer les contours de la responsabilité médicale. Cette évolution a accompagné les progrès de la médecine, mettant en regard des exigences légitimes accrues avec des capacités et une efficacité sans cesse renforcées. Aujourd'hui, une notion telle que celle « d'obligation de sécurité-résultat » met à la charge des praticiens des exigences sur la pratique, bénéfiques pour tout un chacun. Mais la preuve de la faute ou de la négligence à l'origine du dommage demeure une charge difficile pour les victimes. Du côté des praticiens, ces obligations et le risque juridique qui les accompagne ont de plus en plus favorisé le formalisme froid de l'information du patient au détriment de la dimension humaine de la relation. Soucieux de préserver sa responsabilité juridique, le médecin est invité à se soucier avant tout de la preuve de l'information qu'il a délivrée au détriment de son intelligibilité et de sa valeur pour le patient pour l'accompagner dans la décision et le cheminement thérapeutique.
La notion de responsabilité est duale. Active, elle signifie le diagnostic, l'acte et l'accompagnement du patient dans la prise de décision. Passive, elle signifie rendre des comptes, particulièrement lorsque le résultat de son action est remis en cause et critiqué. Un certain nombre de garde-fous existent pour encadrer la mise en jeu de cette responsabilité. Mais ces garanties interviennent plus a posteriori qu'a priori par manque de validation de la décision et de certification des mécanismes de son élaboration, singulièrement en médecine de ville. De même, l'évaluation de la qualité des soins peine encore à s'imposer. La complexité des structures publiques et privées qui participent au grand service public de la santé nécessite également de stabiliser le périmètre des responsabilités individuelles et collectives ainsi que l'enseigne l'arrêt du 28 janvier 2010 de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (N°08-20.571).
La délivrance d'une information, formalisée et comprise, et le respect des bonnes pratiques sont sanctionnés a posteriori et n'offrent plus toutes les garanties que le patient sera de plus en plus en droit d'escompter, voire d'exiger.
Conclusion
La mise à disposition d'un outil d'aide à la décision encore inédit, validé par les autorités scientifiques, certifié sur le plan processuel et agréé par les autorités publiques au titre de l'amélioration de la santé publique, doit voir le jour pour sécuriser la décision, rassurer l'usager, et prévenir les risques juridiques croissants pesant sur les activités médicales. D'importantes économies d'échelle peuvent être réalisées non pas en limitant autoritairement l'accès aux soins mais en améliorant l'offre de soins. Les médecins généralistes sont en première ligne par leur nombre et le nombre d'actes qu'ils réalisent chaque année. De leur pratique doit pouvoir émerger une médecine optimisée, soucieuse de la prévention en santé publique et répandant les meilleurs savoirs et pratiques médicaux. Une telle évolution, si elle venait à se diffuser à l'ensemble des praticiens de santé, constituerait à n'en pas douter un des plus grands progrès de la médecine.
Thomas Cassuto
1 Dernier ouvrage publié : « La santé publique en procès », PUF 2008. L’auteur a dirigé larédaction de l’ouvrage « Les défis du vivant », éd. Presaje 2004.