L'indépendance des rédactions et la propriété des quotidiens ont fait, ces derniers mois, l'objet de débats animés à « Libération », au « Monde », aux « Echos ». En fait, ce qui est discuté est moins la nécessité de l'indépendance que les formules possibles de sa mise en œuvre, entre les solutions juridiques, économiques et... pragmatiques.
Sur le fond, il a été maintes fois démontré que la qualité de l'information repose notamment sur la capacité des journalistes à exercer en toute indépendance une analyse critique des faits, sans autre intérêt que la recherche de la vérité. L'inévitable écart qui peut exister entre cet idéal et son application pratique n'affaiblit en rien la force du principe. Comme tout être humain, le journaliste peut subir des influences culturelles, idéologiques ou matérielles et il est très souhaitable d'éviter le risque supplémentaire de conflits d'intérêts liés au poids excessif d'un annonceur ou aux intérêts particuliers d'un propriétaire de média. La confiance du lecteur et la qualité de l'information en dépendent directement. Ainsi se sont expliquées les réserves des journalistes des « Echos » vis à vis de leur nouveau propriétaire. C'est la même préoccupation qui anima naguère les journalistes de « Libération » et aujourd'hui ceux du « Monde » pour conserver un type d'entreprise qui leur donne, de fait, les pouvoirs de décision d'un propriétaire.
La difficulté est que, s'il fabrique le produit très spécifique qu'est l'information, un média n'en est pas moins une entreprise condamnée à fonctionner selon les lois économiques universelles et éternelles.
Comme toute entreprise, un journal a besoin d'un capital pour vivre et se développer et ses recettes doivent dépasser ses charges. Sauf exception, les journalistes n'ont pas les moyens financiers d'être investisseurs et les tâches de gestion ne sont pas leur métier. A l'inverse, tout investisseur a le désir légitime d'obtenir une rémunération de son argent et de contrôler la rentabilité de l'entreprise dans laquelle il s'engage. Ces évidences entrent malheureusement en contradiction avec le vieux rêve français d'un journal sans actionnaire et sans les contraintes du marché. Une certaine pratique politique et professionnelle française a longtemps laissé croire que cela était possible. Les réalités ont cependant, tôt ou tard, raison des utopies. Faute de l'avoir cru, plusieurs quotidiens en ont été frappés de mort. D'autres en restent menacés.
Nombre de médias ont pourtant su trouver des moyens pour garantir à leur rédaction une indépendance réelle. En Europe du Nord, des transactions, parfois difficilement acquises, ont permis que des rédactions disposent de droits et garanties sur leur indépendance d'analyse, leur liberté d'expression et la désignation du rédacteur en chef, sans que les propriétaires perdent leur responsabilité sur l'entreprise éditrice. Des formules variées mais efficaces sont observables dans de multiples démocraties à travers le monde. Toutes relèvent de compromis, parfois imparfaits voire instables, mais finalement toujours conclus autour des conditions nécessaires au succès du journal, l'intérêt commun de l'éditeur et des journalistes. La solution ne vient quasiment jamais de la loi seule, ni de la propriété, mais de conventions pragmatiques, résultats et sources de confiance mutuelle.
Henri Pigeat