« Les agences de notation et la crise du crédit : faux procès et vrais débats ». Tel était le thème du dernier colloque organisé par l'institut Présaje, l'université Paris X-Nanterre, le Cercle France-Amériques et l'Association française des docteurs en droit, avec le soutien de Ernst & Young. Ci-dessous figure la synthèse des propos tenus par le Gouverneur de la Banque de France.
Quelle est la fonction essentielle des marchés financiers ? Celle de la collecte et du traitement de l'information. C'est cette fonction qui permet d'évaluer le rendement et le risque des divers actifs et, par là, de prendre les décisions d'investissement et de financement.
Le seul ennui, c'est qu'il existe sur les marchés de nombreuses asymétries d'information, d'où résultent maints dysfonctionnements : par exemple, la « sélection adverse » (quand les investissements de moindre qualité trouvent plus facilement de l'argent que les bons projets), ou encore l'aléa moral. Surtout, l'information est coûteuse : les investisseurs ne sont guère incités à engager ces coûts s'ils pensent que d'autres s'en chargeront à leur place !
Quand les banques assurent l'intermédiation entre prêteurs et emprunteurs, elles s'appuient sur la connaissance des clients pour exercer un rôle de tri. Mais sur un marché titrisé, cela ne joue plus. C'est ce qui explique l'apparition et le développement des agences de notation : il y a, à l'évidence, concomitance entre le développement de la titrisation et celui de la notation.
Triomphe de la confusion
Mais le processus ne s'est pas arrêté à cette première étape. L'ingénierie financière ayant inventé les produits « structurés », conséquemment les agences de notation ont vu là un moyen de développer considérablement leurs activités. Elles en sont venues à inventer des méthodes et des modèles censés évaluer, véhicule par véhicule, la corrélation entre rendement et effet de levier créé par la structuration. Résultat : elles sont souvent sur la sellette, depuis le début de la crise. Tout cela trouve sa source dans l'immense malentendu qui s'est installé entre certains investisseurs et les agences.
Premier malentendu : le contenu même de la notation. Les agences se considèrent comme responsables du jugement sur le seul risque de crédit, tandis que beaucoup de gestionnaires - comme les fonds de placement à court terme - ont pensé trouver chez elles une protection globale, couvrant notamment les risques de liquidité.
Deuxième source de malentendu : la « métrique » utilisée pour noter les produits structurés. Celle-ci est identique, dans sa présentation, à celle qui est utilisée pour les produits obligataires classiques. Or, il s'agit de deux univers différents. L'attribution d'un AAA pour un CDO (Collateralized Debt Obligation : en français, obligation adossée à des actifs) n'emporte pas les mêmes conséquences qu'un AAA sur une obligation « corporate ».
Les produits structurés sont construits sur des corrélations et des effets de levier. Il suffit qu'une des tranches risquées soit défectueuse pour que les autres tranches soient affectées par contagion. On a vu récemment un CPDO (Constant Proportion Debt Obligation) noté AAA subir une dégradation de neuf crans en une seule journée ! Il eût été sûrement plus simple et plus sage d'adopter une métrique spécifique pour les produits structurés; on aurait sans doute évité bien des incompréhensions !
Revoir la métrique. Que faire aujourd'hui ?
D'abord éviter les rafistolages. Les perturbations actuelles sont trop importantes pour que l'on se contente de demi-mesures. De plus, il ne faut pas oublier Bâle II, qui repose sur un calcul plus fin des risques ; il faudra une référence plus fréquente à la notation externe. Deuxième erreur à éviter : se lancer dans une réglementation pesante et détaillée de l'activité de notation. Mais il y a beaucoup d'améliorations possibles, comme celles évoquées par Michel Prada (1) : enregistrement, reporting, amélioration de l'organisation professionnelle.... Pour ma part, je proposerais, dans la ligne de ce que j'ai évoqué dans mon diagnostic, deux changements majeurs :
1/ d'abord exiger une plus grande transparence des méthodes, et une différenciation marquée des métriques entre obligations classiques et produits structurés : soit en adoptant une autre échelle de notation, soit en complétant la notation de crédit par une appréciation sur la volatilité ;
2/ ensuite, mettre en place une notation spécifique du risque de liquidité ; ce n'est pas facile, mais des concertations sont en cours - groupes de régulateurs de marché, groupes de banquiers centraux travaillant à ces questions - et la Banque de France y est activement impliquée. Il y va de la survie de la fonction de notation et du développement des marchés financiers. Donc de l'économie.
Christian Noyer
(1) Président de l'AMF